Témoignage de Marie

Namaste,

Je m’appelle Marie, j’ai 32 ans et je vis à Paris. J’ai décidé, fin d’année 2022, de quitter mon emploi de Chef de projet pour me permettre de prendre du recul sur mon avenir professionnel. Des amis avaient prévu en parallèle un road trip de 6 mois en Asie et il était prévu que je les rejoigne pour un trek au Népal en mars 2023. N’ayant rien de planifié sur les deux premiers mois de l’année, je me suis alors dit que c’était le bon moment pour concrétiser le projet de mission humanitaire que j’avais en tête depuis pas mal de temps.

Concernant l’école à laquelle j’ai été affiliée (équivalent au niveau maternelle à la fin de primaire chez nous), le cadre donné par l’association était le suivant : pallier au manque de professeurs et occuper les différentes classes au fil de la journée en leur proposant diverses activités (jeux, chant, sport, etc..). Il faut savoir qu’au Népal, le programme scolaire s’en tient strictement aux matières dites « classiques » (Népalais, Mathématiques, Histoire, etc.), en tout cas, dans les écoles publiques et en milieu rural.

A la différence de chez nous où le développement personnel de l’enfant et sa prise de recul sur les choses qui l’entourent sont relativement mis en avant, ce n’est pas du tout le cas au Népal. Les enfants répètent et récitent par cœur chaque enseignement sans que cela ne soit associé à la moindre compréhension derrière.

L’école n’est pas obligatoire et il est coutumier, pour les petits écoliers, de marcher entre 30 min et 1h pour rejoindre les bancs de cette dernière. A titre d’exemple me concernant, 50 min avec un bon dénivelé ascendant le matin et descendant le soir. L’association fait donc son possible pour rendre, grâce aux bénévoles, ce lieu un peu plus attrayant à leurs yeux. 

Autre objectif sous-jacent de l’association et s’inscrivant beaucoup plus sur le long terme, lutter contre la violence quotidienne et totalement banalisée au sein des écoles népalaises en montrant qu’il est possible de transmettre autrement, sans menace, sans cri, sans coups.

J’ai à cœur que ce témoignage reflète au mieux l’expérience que j’ai vécu et que je pose sur le papier avec un recul de quelques semaines maintenant. Paradoxalement à la joie de vivre cette aventure, à l’accueil et à la bienveillance de chacun, je dois bien avouer que cette première mission humanitaire seule, à l’autre bout du monde, fut tout de même très challengeant émotionnellement. Le décalage en termes de confort et d’hygiène combiné à la fatigue, la barrière de la langue, le manque de moyen ainsi que la violence banalisée au quotidien ont parfois été assez difficile à vivre. 

 

 

 

Après 14h de trajet, je suis arrivée à Katmandou, accueillie par Santosh (le directeur de l’association) avec qui j’avais au préalable échangé par message. Son accueil fut des plus chaleureux pour m’accueillir dans cette ville au quasi 1 million et demi d’habitants. C’est quelqu’un de très solaire, il parle parfaitement anglais, est d’un naturel très avenant et a à cœur de faire son maximum pour que chacun se sente bien. Le lendemain de mon arrivée, j’ai eu la chance de célébrer un festival local en compagnie d’une partie de sa famille. Je les remercie encore vraiment de m’avoir convié lors de cette journée. J’ai également eu l’occasion de rencontrer sa femme et ses 2 garçons qui ont été adorable avec moi.

Après 2 jours et demi passés à Katmandou, est arrivé le moment de rejoindre le village des parents de Santosh à 40km de là. Logée dans leur maison, j’avais pour mission d’intervenir dans l’une des écoles à proximité.

J’ai une pensée pour Deepa, en charge de la communication et des réseaux sociaux de l’association, qui m’a gentiment accompagnée et avec qui j’ai vraiment apprécié échanger lorsque nous en avons eu l’occasion. 

Je n’avais, à ce moment-là, encore qu’une vague idée de ce que j’allais pouvoir mettre en place ou non dans le cadre de ma mission auprès des enfants : ce que je serais capable d’apporter, ce qui serait réalisable, etc.

Au village, l’accueil fut également très chaleureux. Tout ce que j’avais pu lire à ce sujet et tous les échanges que j’avais pu avoir avant de partir allaient dans le même sens : les Népalais sont particulièrement accueillants et bienveillants. Tous les membres de la famille de Santosh ont porté une attention toute particulière au fait que je me sente à l’aise et je les en remercie vivement.

Le village est constitué uniquement de maisons réparties sur l’ensemble de la montagne entre cultures de riz, de légumes et chemins de terre battue. Le jour de mon arrivée au village, nous avons entamé une petite randonnée pour aller voir une cascade. Les paysages sont vraiment impressionnants et le lendemain, ma mission au sein de l’école commençait. 

Les journées démarraient à 5h30 (avec le lever du soleil pour eux) et aux alentours de 7h pour moi. Chacun s’affairait à ses activités puis 1er repas vers 8h : riz avec légumes. Départ pour l’école avec coupure aux alentours de 14h pour manger un snack. En rentrant à la maison, petit gouter puis le repas du soir aux alentours de 19h : riz avec légumes (et éventuellement du riz avec du lait en dessert)

Tout le monde se couchait aux alentours de 20h30. 

Un remerciement tout particulier à Pratima, l’une des cousines de Santosh qui, en vacance à ce moment-là, a veillé à ce que je ne manque de rien et a pris le temps de m’accompagner plusieurs jours à l’école pour que la mission démarre au mieux (et également que je ne m’égare pas durant la cinquantaine de minutes de marche qui séparait la maison de l’école).



 

Pour vous parler plus précisément de mon expérience à l’école, je dirais que la classe niveau 1 (équivalent à une nurserie avec des enfants de 2/3/4 ans) fût la plus compliquée à gérer pour moi, le reste des classes étant plus disciplinées.

Imaginez une vingtaine de petits bouts courir partout, crayon de papier en bouche (sinon c’est moins drôle), escalader les deux tables de la classe avec le tableau mis de façon inclinée au sol et faisant office de toboggan, grimper aux barreaux des fenêtres pour sauter sur leurs camarades un demi mètre plus bas.

Je ne vous cache pas que j’ai frôlé quelques crises cardiaques en me disant que l’un d’eux allait forcément perdre un œil ou un doigt dans l’agitation.

Le manque de vocabulaire et l’option inenvisageable de recourir à une quelconque forme de violence, je n’ai malheureusement pu mettre en place des activités dans cette classe qu’au moyen de l’accompagnement d’une des professeurs qui y avait recourt à répétition. Comme je disais donc, banalisée et faisant presque office de moyen de communication au même titre que la parole. Durant mes 3 semaines de mission, j’ai assisté une fois, dans cette même classe, à une prise à partie extrêmement violente d’une élève par la directrice.

Il est vraiment compliqué d’assister à ces scènes sans pouvoir concrètement rien n’y faire. Nous ne sommes pas là, en tant que bénévoles, pour faire la police auprès des enseignants mais plutôt montrer qu’il existe d’autres manières de faire. L’association milite énormément sur ce sujet et met également en place bon nombre de formations et ateliers de sensibilisation auprès de ces derniers pour faire évoluer, peu à peu, les mentalités (malheureusement également fortement ancrées dans la majorité des familles). Heureusement, j’ai aussi pu constater des comportements plus sains et respectueux de la part d’autres professeurs.

Concernant les enfants, la violence ne s’apparente pas du tout à une bagarre comme on pourrait la connaître chez nous mais littéralement comme un geste associé aux échanges quotidiens, pour tout et rien. Je tiens tout de même à préciser que malgré cette violence omniprésente, les élèves sont très proches les uns des autres, s’entraident et une vraie solidarité les unit (énormément entre frères et sœurs mais tout autant pour le reste des écoliers).

Au fur et à mesure de la journée, je tournais entre les différentes classes réparties en 5 niveaux. Après quelques essais infructueux, j’ai mis de côté le traducteur Google « français-népalais ». Malgré la difficulté de communiquer oralement avec eux (une minorité seulement avait des bases rudimentaires d’anglais, issues de phrases toutes faites ne permettant pas de communiquer), j’ai tenté au travers de gestes, de démonstrations et autres inventions de leurs partager quelques consignes sur les activités que je souhaitais mettre en place.

Quel baume au cœur quand leurs yeux brillaient lorsque je rentrais dans leur classe, leur chanson pour m’accueillir et les voir prendre du plaisir à faire des activités sortant de leur quotidien. Chaque soir, le même rituel : des checks, bisous et au revoir envoyés dans les airs de la main par dizaine. La cour de l’école n’était pas bien grande, mais ça me prenait facilement 5 grosses minutes pour atteindre le portail 🙂

Je ne peux m’exprimer que pour ce que j’ai vécu mais là-bas, les conditions de vie de la majorité des Népalais sont très différentes de celles que l’on peut connaitre chez nous. J’avais la chance de loger chez une famille qui avait un toit solide sur la tête et pourtant : pas de chauffage (et dieu sait qu’il fait sacrément froid une fois le soleil couché – en tout cas en janvier/février), pas d’eau chaude à moins de la faire chauffer au préalable sur le feu, des toilettes à la turc à l’extérieur de la maison, pas de pièce de vie commune à l’exception de la cuisine qui donne sur l’extérieur… La vaisselle et lavage du linge se faisant à l’extérieur également dans une sorte de lavoir.

Quelques exemples parmi tant d’autres mettant en avant l’écart entre ce que l’on peut considérer comme acquis et évident chez nous, mais qui est loin d’être monnaie courante là-bas.

Paradoxalement, ils sont heureux, unis et passent énormément de temps ensemble à discuter, jouer (toutes générations confondues). C’est très différent de chez nous ou chacun à tendance à avoir un comportement beaucoup plus “individualiste”. Là où j’étais, chacun contribuait à sa manière à la gestion commune des lieux. Le rythme des journées est organisé entre la gestion des bêtes, la préparation des repas, la culture de leurs terres etc..

Apres une première semaine d’acclimatation très challengeante malgré la bienveillance et la gentillesse de chacun à la maison et à l’école à mon égard, j’ai attaqué la deuxième semaine en me posant pas mal de questions.

Cette dernière fut nettement plus soft en termes de variations d’émotions. Petit à petit, on s’acclimate et le décalage devient moins pesant. Les activités en classe sont également devenues un peu plus facile à mettre en place ce qui m’a aidé à reprendre du poil de la bête.

Paradoxalement, le fait de n’avoir que très peu de possibilités d’échanger en anglais et de ne pas avoir eu l’occasion de partager en direct avec quelqu’un vivant le même décalage à l’instant T s’est fait de plus en plus pesante. 

J’ai pris le temps de faire des sortes de mini bilan pour voir comment je me sentais et si je souhaitais ou non continuer la mission. S’est ajouté dans la balance la perte « d’autonomie » du fait de l’immersion totale dans une famille (qui paradoxalement est d’une richesse incroyable) : attendre que l’on vous serve à manger, devoir demander pour prendre une douche, se sentir inactif quand on voit tout le monde s’affairer à mille tâches alors qu’on lit un bouquin. Ce sont quelques petits exemples qui pris isolément n’ont rien de très durs mais cumulés au reste ont pesé chaque jour un peu plus.

Les méthodes d’éducation et banalisation de la violence ont également été un poids quotidien très difficile à vivre pour moi ainsi que le côté pesant de ne pas pouvoir réellement communiquer avec eux pour les connaître, mieux les comprendre, etc.

La décision s’est imposée à moi dans le sens où j’ai senti que 3 semaines pour une première mission seraient suffisantes pour me permettre d’aller au-delà de la notion de confort/d’hygiène, de réussir à profiter de l’instant présent et de mon immersion tout en ayant l’opportunité de continuer à mettre en place un certain nombre d’activités avec les enfants. En parallèle, cela me permettait de respecter une sorte de limite intérieure si je voulais garder du positif de cette aventure et m’engager à l’avenir sur d’autres missions humanitaires. La mission s’est donc terminée au bout de 3 semaines vs le mois et demi que j’avais prévu initialement.

 

3 semaines, cela peut paraître très court sur le papier mais l’inconnu, l’immersion dans une culture et ses conditions de vie radicalement différentes ainsi que toute la panoplie d’émotions qui vont avec ont profondément ancré en moi cette expérience.

Je mesure la chance d’avoir pu vivre cette formidable aventure humaine et suis fière de m’en être donné les moyens. 

Je retiens également toute la phase amont durant laquelle ce projet a émergé, les heures de recherche et les mille et une questions qui m’ont traversé l’esprit. Au-delà de la mission en elle-même, c’est la première fois que je cochais ces trois cases en même temps : partir seule, dans un pays inconnu à l’autre bout du monde, sans visage vraiment connu pour m’accueillir. Je ressors de cette expérience grandie, à la fois reconnaissante d’avoir pu le vivre mais également heureuse d’avoir pu contribuer, à mon échelle, à l’investissement de l’association Peace for People.

Au-delà de la notion d’altruisme, genèse de toute mission humanitaire, je considère qu’il est primordial d’envisager ce type de projet afin de satisfaire certaines aspirations plus personnelles. C’est la combinaison de ces deux facteurs qui, selon moi, permet de faire ce don (de temps, d’énergie, d’argent…) tout en restant en phase avec ses propres valeurs et limites. C’est dans cet état esprit que j’ai vécu cette expérience que je vous recommande à 1000%.